Annick Llory, artiste peintre abstrait en Roussillon. 707964
Les entrailles de la terre, 100 x 100

 

 

 

« C’est ce que je fais qui m’apprend ce que je cherche. Ma peinture est un espace de questionnement où les sens qu’on lui prête peuvent se faire et défaire. Parce qu’au bout du compte, l’oeuvre vit du regard qu’on lui porte... »

  

Pierre Soulages

Quelques éléments de biographie

 

Annick Llory, peintre abstrait

Annick Llory a dans un premier temps fait des études d’histoire des sciences, puis de psychologie clinique Aujourd’hui, elle a décidé de se tourner vers son intérêt profond pour la souffrance psychique … et elle s'est installée en profession libérale, comme psychologue clinicienne - psychothérapeute.

Mais en parallèle, et depuis longtemps, elle a mené des activités artistiques, dans un 1er temps vers la tapisserie contemporaine, selon la tradition artisanale de haute-lice des Gobelins.

Elle a animé pendant 15 ans un atelier de tapisserie pour adultes à Jouy-en-Josas (dans les Yvelines), au Centre Culturel et Artisanal de la ville et organisé dans ce cadre des expositions de tapisseries.

Sous le prétexte de pratiquer une activité dite artisanale - la tapisserie de haute-lice - des adultes s’inscrivaient tout autant à son atelier d’année en année pour participer à une thérapie douce par l’Art… Son mémoire de Maîtrise en psychologie clinique s’intitula : « L’art de la tapisserie, une approche psychanalytique ».

La rencontre avec la peinture était peut-être parmi ses rêves, un des rêves les plus profonds, les plus enfouis, les plus interdits.

Pour l’essentiel autodidacte, elle a entrepris ce qu’elle considère comme un dialogue avec la matière (l'acrylique, l'huile), la couleur, la pâte … un dialogue avec soi-même.

Se confronter à la toile blanche, vierge, réveille des peurs, des angoisses … et une excitation certaine. Un combat s’engage avec les parties obscures de soi-même, celles que l’on peut approcher … par le rêve par exemple, ou par une démarche analytique dont les liens et les prolongements avec les processus sublimatoires sont énigmatiques.

 

Le regard d'un écrivain 

Du feu, de l’or et des cendres

L’artiste face à l’apocalypse

Du temps est passé. Ce n’est pas tant l’eau qui a coulé sous les ponts pour Annick mais le feu.

L’Apocalypse qui semblait un horizon futur certes menaçant mais tout de même improbable est peut-être déjà là. Peut-être suspendu au-dessus de nos têtes comme la fameuse et antique épée de Damoclès. C’est le propre des artistes d’être attentifs aux réalités alarmantes, poreux aux sourdes rumeurs du monde.

L’artiste capte ces signaux inquiétants du monde, dans leur variété quasi-infinie : l’inéluctable réchauffement climatique et ses effets déjà présents, les catastrophes industrielles et leurs rougeoiements de forges infernales, leurs poisons qui éclaboussent partout, mais aussi hélas les guerres, déclarées et larvées, rampantes. Je vous promets du sang et des larmes, avait proclamé un célèbre premier ministre anglais. Son avertissement semble valoir pour aujourd’hui également, et pour nous tous.

Ces angoisses, ces désastres humains et humanitaires, ce chaos, l’artiste contemporain les reçoit au fond de lui-même. Ils couvent, incubent. Il les digère, les apprivoise. Il est loin le temps sublime des grands espoirs figurés par les madones angéliques, des paysages bucoliques et idylliques. Il est désormais difficile et sans doute impossible à l’artiste, à notre époque, et Annick Llory n’échappe pas à cette malédiction, de peindre des bouquets resplendissants et des natures mortes paisibles… A une époque où la nature elle-même - sa faune, sa flore - est menacée, attaquée, corrodée… parfois détruite, morte !

C’est ainsi que je peux lire et comprendre cette recherche d’Annick Llory, dans ce contexte de trouble, d’inquiétude tenace, d’incertitude prégnante : une quête quasi désespérée du mouvement et de la couleur, une lutte contre la matière, les pigments, patiente et obstinée.

          Une réponse de l’artiste, à la fois sombre, énigmatique et éclatante

Je vois ainsi dans son œuvre qui s’élabore peu à peu des surgissements, des éclats de sang, des ruminations volcaniques, où les couleurs éclatantes, le feu et l’or, les disputent aux noirs, aux bruns, aux terres fuligineuses, à la cendre.

Annick saisit dans ses tableaux cette lutte implacable de la vie primitive, archaïque, grouillante, et de la mort noire, des figements définitifs.

Mais son travail, sa quête têtue d’artisan ouvert aux surprises et aux aléas du geste, de l’imprégnation des couleurs, des contrastes, va plus loin encore. Elle débouche sur des mondes étranges, des paysages dont je ne saurais dire s’ils sont au commencement ou à la fin du monde.

Parfois, son regard se penche sur des détails. C’est l’infiniment petit qui est exploré : ce sont des froissements de plantes séchées, des protozoaires ou des animalcules invisibles à l’œil nu qui apparaissent sur le tableau par la magie de l’artiste. Parfois, de l’étrange naît un paysage dont je pourrais imaginer que c’est celui, encore informe, quasi incréé, d’un monde si lointain, inaccessible, d’une planète impensable dans une de ces galaxies, de ces nébuleuses aux noms qui font rêver : Chevelure, Crabe, Andromède, Nuages de Magellan…

…Ou bien que c’est celui à deux pas de chez nous, à un jet de pierre : lagunes calmes, étangs primitifs, sables déserts. Le désir se fige dans l’espace du tableau d’un paysage si paisible et austère de bruns et d’ocres, immobile, stagnant.

Parfois, ce pourrait être une plongée vertigineuse dans le temps, un espace gris-bleu découpé en triptyque au milieu duquel se tient une formation complexe de couleurs, suggérant le squelette de quelque animal antédiluvien pris dans les glaces du Temps…

Mais les mots ne peuvent épuiser les significations, les incidentes, les suggestions, toujours renouvelées et souvent superposées. Chaque tableau affirme et illustre la liberté pour chacun de voir une harmonie particulière, d’être heurté et comme troublé, dérangé par le mouvement des masses picturales, ou de se trouver attiré, « scotché » (comme je l’ai entendu dire de visiteurs), fasciné devant ces mondes, ces structures qui résistent malgré tout à l’investigation et attisent notre perplexité.

           Une longue marche personnelle

« Chaque tableau est un monde » pour paraphraser cette belle formule populaire catalane dédiée aux familles. Chaque tableau d’Annick Llory est un monde.

Les tableaux d’Annick Llory nous sollicitent en effet, nous emportent, mais ils se dérobent et nous échappent. Une énigme demeure cachée, incrustée en chaque tableau, qui ne se laisse pas appréhender… Au-delà des apparences… des interprétations hâtives.

(Magritte avec son sens aigu de la provocation ne dénonçait-il pas notre tendance trop immédiate à voir l’évidence ? Et peignant ce qui ne pouvait suggérer à tout un chacun qu’une énorme pipe, il traçait en-dessous la fameuse légende : « Ceci n’est pas une pipe » !)

Annick Llory laisse fuser la part obscure, quasi incernable et inaccessible d’elle-même… Elle s’exprime à travers le geste du pinceau, des grattoirs, elle se glisse, s’immisce dans l’imprévisible entremêlement des couleurs, dans ces multiples frontières frangées, dentelées, indécises, entre les couleurs.

La matière elle-même est convoquée sous une multitude de textures : ce sont des morceaux de tissus, des filets, du sable, du carton, du plâtre… intense malaxage d’ingrédients pour rechercher cette perfection illusoire, jamais atteinte, qui fuit sans cesse, semble proche parfois, puis se détruit, s’évanouit… ou même rechercher ce qui serait simplement, plus prosaïquement une satisfaction du moment, fragile, du geste accompli, Mais qu’un nouveau regard, une heure plus tard peut-être, ou le lendemain, remet en cause, brise et anéantit.

La quête est incessante, obstinée. Annick Llory se remet au travail sans relâche, gagne du terrain, innove, efface, reprend, gratte, corrige…

C’est une longue marche personnelle, dont ses tableaux témoignent, tels des bornes, des repères sur ce cheminement artistique.

                                                                                                                                         Michel Llory (écrivain).

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